Zone euro : l’activité économique continue de surprendre par son tonus

Réaction économique
Zone Euro

En termes de croissance économique, l’année écoulée aura marqué un tournant pour les pays membres de l’Union économique et monétaire (UEM).

Toutes les économies sans exception ont franchi un palier au regard de l’évolution de leur produit intérieur brut (PIB) sur les trois premiers trimestres. Au-delà du rythme, c’est la composition même de la croissance qui a changé de nature avec une part de plus en plus conséquente consacrée à l’investissement. Cette période de croissance favorable tient en partie à une reprise du cycle industriel couplée à un dynamisme retrouvé des échanges commerciaux à l’échelle mondiale. Cependant la reprise paraît encore inachevée à bien des égards : l’inflation manque à l’appel en raison d’une croissance timorée des salaires. Cela reflète en partie la faiblesse des gains de productivité, symptôme d’un marché du travail encore en convalescence à la lecture des indicateurs relatifs à la qualité de l’emploi. D’un point de vue purement quantitatif, les perspectives d’emploi sont néanmoins encourageantes. L’environnement budgétaire est également moins contraint pour les Etats mais la réduction de l’endettement public demeure un défi de taille pour certains pays. Enfin, la BCE a fait un premier pas vers la normalisation de sa politique monétaire. L’année 2018 pourrait marquer la fin de la politique quantitative et un recentrage sur les outils plus conventionnels. En trame de fond, l’année à venir verra des échéances politiques de premier ordre : formation de la coalition en Allemagne, élections législatives en Italie, débats autour de l’intégration européenne et négociations autour du Brexit.

La dynamique économique de la zone euro en un regard

« Sur le plan conjoncturel, la zone euro connaît un épisode de croissance tout à fait inédit depuis la crise financière de 2008-2009. »

Thomas Foicik

Une conjoncture presque sans fausse note

L’activité économique de la zone euro a surpris positivement tout au long de l’année écoulée. Cette dernière marque un tournant dans le sens où le taux annuel de croissance du produit intérieur brut (PIB), à 2,6% au troisième trimestre 2017, s’affranchit de la moyenne historiquement observée sur la période pré-crise entre 1996 et 2007 (2,3%). L’expansion apparaît désormais bien ancrée, comme en atteste la vigueur des quatre derniers trimestres, et plus synchronisée puisque tous les pays membres de l’Union monétaire, à l’exception de l’Italie, la Finlande et la Grèce, ont retrouvé leur niveau d’activité qui prévalait lors du point haut du cycle précédent en 2008. A la fin du 3ème trimestre, onze pays sur les dix-neuf pays constituant la zone euro, affichent une croissance annuelle supérieure à 3% sur un an. 

Au-delà du rythme, c’est la composition même de la croissance qui a changé de nature avec une part de plus en plus conséquente consacrée à l’investissement sur les derniers trimestres. Sur le dernier point disponible, le troisième trimestre, les dépenses d’investissement progressent de 4% sur un an et la part de l’investissement dans le PIB remonte à 21% du total contre 19% au creux du cycle et 23% au plus haut, respectivement en 2013 et 2008. Au sein de l’investissement, la nature de ces dépenses est également un motif de satisfaction : les dépenses dédiées à la construction sont en hausse de 3% tandis que celles consacrées aux machines et équipements progressent de 7% sur un an. De son côté, la consommation des ménages est restée régulière sur l’année autour de 2% l’an, tandis que la croissance des dépenses des administrations publiques, proche de 1% l’an, paraît plus mesurée que lors de la dernière décennie (autour de 2,5% par an en moyenne). Enfin, sur le plan conjoncturel, les échanges de biens et services avec le reste du monde apportent leur pierre à l’édifice avec un surcroît de croissance lié au dynamisme des exportations, qui représentent désormais près de 50% du PIB, un niveau inédit. 

A la lecture des enquêtes de conjoncture en cette fin d’année, force est de constater que les économies de la zone euro abordent les premiers mois de l’année 2018 sur des bases solides. La confiance des industriels et des prestataires de services, sondés dans les enquêtes de Markit (PMI) ou de la Commission européenne, tutoie des niveaux inédits depuis le début des années 2000. L’amélioration des conditions d’activité repose sur un renforcement de la demande qui s’exprime à travers un volume de production et un niveau des carnets de commandes élevés ainsi qu’une croissance régulière des effectifs des entreprises. Certains chefs d’entreprises font même état d’une accumulation des arriérés de production et d’une amélioration du pouvoir de tarification dans un environnement de hausse des prix des intrants et de vente. Ce dernier est plus marqué dans le secteur manufacturier que dans le secteur des services. Cette dernière observation est également valable de manière plus globale, puisque le climat des affaires dans le secteur manufacturier, décrit dans les enquêtes des directeurs d’achat (PMI), surpasse nettement celui du secteur des services à la fois par son ampleur et sa longévité inédite (9 mois d’affilés), signe d’une force de traction du cycle industriel après des années de faiblesse chronique de l’investissement. Tout au long de l’année, ces données d’enquêtes se sont matérialisées dans les chiffres plus concrets de production. Ainsi, sur la base des dix premiers mois de l’année, l’activité manufacturière est sur le point d’enregistrer sa plus forte croissance depuis 2011 et de retrouver son niveau le plus haut depuis juin 2008. La fabrication de biens d’équipement, marqueur d’une production tournée vers des biens à plus haute valeur ajoutée, progresse de près de 3% par rapport à 2016. Au-delà du secteur industriel, l’appréciation plus optimiste de la situation économique s’est étendue plus largement à d’autres pans de l’activité : secteur de la construction et de la distribution ainsi que du côté des consommateurs.  En effet, la perception favorable des ménages sur le cycle actuel est un élément de bon augure au regard de la tendance des dépenses de consommation. Ces dernières sont restées bien orientées au troisième trimestre mais marquent le pas avec un recul assez sensible des ventes au détail en octobre. Celui-ci nous semble de nature temporaire car plutôt lié à des dépenses saisonnières comme l’habillement ou la consommation d’énergie dépendantes des températures extérieures. Outre ce phénomène transitoire, les facteurs de soutien à la consommation des ménages restent en place : progression du revenu disponible, croissance dynamique du crédit à la consommation à des taux relativement faibles et diminution du nombre de demandeurs d’emploi sur le marché du travail. 

Au niveau agrégé, le taux de chômage de la zone euro affiche un déclin tendanciel et ininterrompu depuis 2013 pour s’établir à 8,8% de la population active en octobre. A titre indicatif, ce niveau est proche de celui considéré comme le taux de chômage structurel par certaines institutions (OCDE, Commission européenne). Le rythme de baisse du nombre de demandeurs d’emploi, d’environ 120 000 personnes par mois depuis janvier 2017, se traduit en parallèle par une accélération de la croissance de l’emploi, à 1,7% sur un an et se concrétise par une progression de 600 000 embauches juste sur le troisième trimestre. Contrairement à la reprise avortée de 2011, ce cycle s’accompagne d’une reprise plus intensive en emploi, qui permet de dépasser le pic d’emploi atteint en 2008.

Une reprise encore incomplète sur le plan structurel

Lors de nos précédentes perspectives économiques et financières (PEF), notre appréciation des progrès sur le marché du travail distinguait clairement une dimension conjoncturelle, indéniablement positive au vu des chiffres présentés précédemment, d’une dimension structurelle, centrée sur la notion de qualité des emplois créés. Cette approche nous apparaît primordiale pour valider des progrès qui dépassent le cadre conjoncturel et sont susceptibles d’avoir une incidence à plus long terme sur la croissance potentielle et sur le niveau de productivité des économies. En effet, durant les années post-crise, la fréquence du travail à temps partiel et du travail temporaire s’est accrue mettant en évidence un phénomène de précarisation du marché du travail, parfois exacerbé par des mesures de dérèglementation dans certains pays (Espagne, Italie, Grèce). De plus, les emplois plus qualifiés et mieux rémunérés détruits en bas de cycle ont été, dans un premier temps, remplacés par des emplois sur des secteurs à moins forte valeur ajoutée et plutôt à bas salaires, ce qui a eu pour conséquence un accroissement du taux de surqualification (situation dans laquelle le niveau de qualification le plus élevé d’un employé est supérieur à celui requis par son emploi) et un creusement des inégalités salariales. Sur la période récente, nos observations mettent en évidence quelques développements favorables mais encore inachevés au vu de l’ampleur de la détérioration des conditions du marché du travail depuis 2009. D’une part, la progression de l’emploi couvre désormais des professions et des branches d’activité où le degré de qualification et les rémunérations sont plus élevés, comme les activités relatives au métier de l’information et de la communication, les activités spécialisées, scientifiques et techniques ainsi que le secteur manufacturier. Dans ce dernier, le déficit d’emploi par rapport au plus haut de l’activité reste tout à fait significatif. D’autre part, lorsqu’on se réfère à une vision élargie du taux de chômage, incluant notamment les travailleurs dits découragés (disponibles mais pas en recherche d’emploi) et en situation de sous-emploi (personne à temps partiel mais souhaitant un contrat à temps plein), nous constatons une tendance similaire à celle du taux de chômage usuellement retenue. A l’échelle de la zone euro, une baisse de l’ordre de 1,5 millions de personnes, soit dites découragées soit en situation de sous-emploi, a été constatée depuis le premier trimestre 2015. Dans cet exemple, le terme de convalescence pour décrire le marché du travail semble encore totalement justifié au regard du niveau absolu élevé de cette mesure du chômage, environ à 17,5% de la population active au deuxième trimestre 2017. Enfin, les enquêtes réalisées auprès des chefs d’entreprises font mention dans certains pays de difficultés à recruter dans les secteurs d’activité de l’industrie (Allemagne, Pays–Bas, Belgique) et de la construction (Allemagne, France). Dans une enquête publiée en novembre 2017 par la Banque centrale européenne (BCE), les entreprises faisaient part de leur difficulté croissante à recruter du personnel qualifié ou des managers expérimentés. Ce point était notamment cité comme le principal problème auquel devaient faire face les petites et moyennes entreprises (TPE, PME) devant l’insuffisance de la demande ou la question du coût du travail.

Du côté des salaires, la phase de convalescence du marché du travail ne permet pas encore d’observer des tensions salariales à l’échelle de la zone euro. Le taux de croissance des indices de coût du travail se maintient dans un intervalle entre 1 et 1,5% l’an. Au 3ème trimestre 2017, la rémunération par tête accélère légèrement à 1,7% sur un an mais, lorsqu’elles existent, les pressions salariales restent très circonscrites à certaines économies (Allemagne) et certains secteurs (construction, activités scientifiques et techniques). De manière un peu plus prospective, les négociations salariales qui se tiennent à l’heure actuelle en Allemagne dans le secteur industriel puis dans le secteur public donneront le ton dans une économie proche du plein emploi mais qui a connu un accroissement de sa population active avec l’accueil des réfugiés en 2015-2016. A l’issue des deux premiers tours de négociations, entre syndicats et patronat, se dessine la possibilité d’une croissance des salaires un peu plus élevée en 2018 qu’en 2017 (2,5%).

Quoiqu’il en soit, ces développements seront suivis de près par la BCE qui maintient une orientation très accommodante de sa politique monétaire en raison d’un mandat (une inflation proche mais en-dessous de 2%) qui ne devrait pas être atteint avant 2020 d’après ses dernières projections publiées le 14 décembre. Son premier pas vers la normalisation de son action, décidé en octobre, illustre un retrait très prudent de son stimulus monétaire : le programme d’achat d’actifs (APP) a été prolongé de neuf mois, au moins jusqu’en septembre 2018, mais sa cadence d’achat sera réduite de moitié à 30Mds€ par mois à partir de janvier. Sur l’année 2018, un recentrage des débats du Conseil des gouverneurs autour des outils plus conventionnels (politique de taux d’intérêt) pourrait voir le jour même si la question de la fin de l’APP (progressif ou plus soudain) devrait occuper le devant de la scène. 

Dans un cycle économique propice à l’accroissement des recettes fiscales, les questions budgétaires de la zone euro sont quelque peu passées au second plan. L’endettement public, identifié comme un frein potentiel à la croissance dans la mesure où il astreint les Etats à des dépenses de remboursement des intérêts sur la dette passée au lieu de promouvoir l’investissement public et la modernisation des infrastructures, reste à un niveau élevé pour certains pays (Italie, Belgique, Portugal, France, Espagne). Sur ce front, des progrès ont néanmoins été réalisés depuis la fin de la crise de la dette souveraine.

Ainsi, quelques pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Autriche devraient voir leur encours de dette s’amenuiser en terme relatif (% du PIB) et en montant nominal à fin 2017. En parallèle, on assiste à une convergence des déficits publics sous le seuil de Maastricht (3% du PIB). En 2018, la Commission européenne prévoit que l’ensemble des pays passe sous ce seuil, la France et l’Espagne restant en retard sur leurs partenaires.  A fin 2017, le déficit agrégé des pays de la zone devrait s’établir à 1,1% du PIB, contre 6,3% en 2009. Sur cette même année, cinq pays sur dix-neuf présenteraient un excédent budgétaire dont l’Allemagne à hauteur de 30Mds€. Par rapport à 2016, le déficit nominal a été réduit dans une large majorité de pays de la zone. Même si la dispersion des rythmes de croissance s’est fortement réduite entre les pays membres de la zone sur l’année écoulée et se situe sur un niveau faible historiquement depuis l’accession à la monnaie unique, l’un des écueils de notre analyse serait de considérer la zone comme homogène en tout point. En effet, c’est en particulier dans le domaine des questions budgétaires que persiste encore un fort degré d’hétérogénéité illustré par des choix de politiques économiques singuliers. De plus, les économies de la zone euro se positionnent différemment dans le cycle économique avec une reprise déjà plus avancée en Allemagne et en Espagne que dans le cas de la France et de l’Italie par exemple. 

Un calendrier politique moins dense en 2018

Après une année particulièrement intense avec les élections en France, au Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche et le référendum en Catalogne, l’année à venir s’annonce déjà moins chargée sans pour autant être moins cruciale avec des enjeux importants pour le futur de l’Union européenne et de la zone euro. 

La prochaine grande élection législative se tiendra le 4 mars 2018 en Italie, troisième pays de la zone euro en termes de PIB. Le Président de la république italienne, S. Mattarella a annoncé une dissolution du parlement italien à la fin du mois de décembre mais le Président du Conseil Italien, P. Gentiloni, devrait rester à la tête du gouvernement pendant la phase de transition. Selon les derniers sondages, le bloc de centre-droit, composé de Forza Italia, de la Ligue du Nord et des Frères d’Italie, progresse en termes d’intention de vote et semblerait disposer d’une légère avance mais pas d’une majorité absolue en termes de sièges (environ 45% soit 270/630 sièges selon les projections à la Chambre des députés). De son côté, le Parti Démocrate connaît une phase de baisse dans les sondages (autour de 25-28% des intentions de vote) depuis la division interne consécutive au retour de M. Renzi à la tête du parti. Le Mouvement 5 étoiles (M5S), mené par Luigi Di Maio, est lui relativement stable dans les sondages autour de 28%. Sauf surprise majeure par rapport aux intentions de vote, la coalition en tête à l’issue du scrutin disposera seulement d’une majorité relative. Isolé politiquement, le M5S a peu de chances de diriger le nouveau gouvernement. Le scénario le plus probable serait une alternance sur la prochaine législature avec une interrogation sur le leadership du centre-droit puisque S. Berlusconi est encore inéligible, en attente de son appel devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’autre sujet d’actualité politique sur le premier trimestre 2018 sera la poursuite des négociations afin de former une coalition en Allemagne entre les conservateurs du parti d’Angela Merkel, la CDU-CSU, et les sociaux démocrates du SPD. Pour ces derniers, toutes les options restent ouvertes : la reconduction d’une grande coalition, l’appui à un gouvernement minoritaire pour assurer la stabilité politique du pays ou la tenue de nouvelles élections en cas d’absence de compromis. Quelle que soit la décision prise à l’issue des pourparlers, celle-ci devra être approuvée par une assemblée de délégués du parti. Il est très probable que le nouveau gouvernement allemand ne voit le jour qu’au cours du 1er trimestre 2018, ce qui constitue d’ores et déjà un délai record dans la constitution d’une coalition (86 jours au maximum en 2013).  De cette coalition pourra également émerger une position plus claire des dirigeants allemands sur les enjeux européens en amont du sommet de la zone euro, à la mi-mars, et du Conseil européen du mois de juin. Des propositions de la Commission européenne et du gouvernement français ont été mises sur la table afin de poursuivre l’intégration économique, financière et politique de la zone, tandis que les négociations du Brexit rentreront dans une nouvelle phase afin d’esquisser la relation future entre les deux zones.

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Rédigé par

Thomas Foicik