Brexit : entre avancées et questionnements
Alors que s’ouvrent les discussions officielles concernant les relations futures entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni, nous vous proposons de revenir sur les risques et incertitudes entourant la négociation du Brexit.
En effet, à presque un an de la sortie de l’Union Européenne, qui devrait officiellement avoir lieu le 29 mars 2019, les interrogations demeurent nombreuses quant à l’avenir du Royaume-Uni. Les négociations du Brexit ont connu des avancées en mars dernier avec l’annonce d’un accord politique sur le texte préliminaire de retrait, néanmoins la question de l’Irlande du Nord demeure un point de crispation important. Le deuxième volet des négociations, concernant la nature exacte des futures relations qu’entretiendra l’Union Européenne avec le Royaume-Uni, constitue également un sujet de préoccupation majeure, en particulier en ce qui concerne la question des services. Enfin, le Brexit constitue un enjeu de politique interne au Royaume-Uni au regard de la fragile majorité de T. May au parlement.
« Le gouvernement de T. May s’appuie sur une courte majorité et totalise 326 sièges, dont 10 pour le Parti Unioniste Démocrate, contre 313 pour l’opposition. »
Calendrier des négociations : l’échéance approche
« La priorité pour les négociateurs est d’obtenir un accord de retrait final d’ici à octobre afin que ce dernier puisse être voté avant la sortie du Royaume-Uni »
Le 23 juin 2016, les britanniques ont voté à 51,9 % pour la sortie du Royaume -Uni de l’Union Européenne. Alors que la date fatidique de sortie de l’UE, fixée au 29 mars 2019, approche, les incertitudes et les interrogations sur les modalités exactes de cette sortie restent nombreuses.
Pour rappel, les négociations du Brexit sont subdivisées en deux volets. Le premier volet porte sur les termes de la séparation et sur la rédaction d’un accord de retrait qui couvrira notamment la question de l’Irlande du Nord. Cet accord de retrait devra être validé par les parlements nationaux avant la sortie effective du Royaume-Uni. Le deuxième volet porte sur les relations futures qui lieront l’Union Européenne au Royaume-Uni et couvrira notamment les arrangements commerciaux. Cette deuxième phase de négociation débouchera également sur un ou plusieurs accords qui seront ratifiés séparément. En effet, le Royaume-Uni ne pourra statuer sur les relations futures qu’une fois sa sortie de l’UE actée, soit après le 29 mars.
En décembre 2017, à la suite de la publication du rapport conjoint entre le gouvernement britannique et la commission européenne, le Conseil Européen a déclaré que des progrès suffisants avaient été accomplis pour passer au deuxième volet des négociations. En février 2018, la Commission a publié un texte préliminaire d’accord de retrait sur la base de ce rapport conjoint. En mars 2018, les négociateurs britanniques et européens ont déclaré avoir trouvé une série d’accords concernant le texte de retrait de la commission, qui a été amendé en conséquence. Les points de divergences demeurent néanmoins, en particulier sur la question nord-irlandaise qui, comme on le verra plus loin, reste en suspens. Parallèlement, l’UE a annoncé que les discussions sur le deuxième volet commenceraient officiellement en avril.
Actuellement, la priorité pour les négociateurs européens est d’obtenir un accord de retrait final qui pourra faire l’objet d’un vote au sein du parlement britannique et du parlement européen avant la date de sortie. Michel Barnier, négociateur en chef de l’Union Européenne, a déclaré qu’il souhaitait que le texte soit finalisé en octobre 2018 tandis le gouvernement May souhaite que le vote des parlementaires britanniques ait lieu avant le vote du parlement européen.
La ratification britannique : une source d’incertitude majeure
« Un rejet du texte de retrait par le parlement britannique provoquerait une sortie sans accord »
Du côté de l’UE, l’accord de retrait final sera validé par le parlement européen à la majorité simple (parlementaires britanniques inclus) puis par le Conseil Européen à la majorité qualifiée (72 % des 27 états membres). A l’heure actuelle, la validation de l’accord de retrait par le parlement européen ne devrait pas poser de problèmes particuliers.
En revanche, côté britannique, la situation apparaît beaucoup plus incertaine. En effet, selon les déclarations du gouvernement, l’accord de retrait final sera soumis à un vote des deux chambres du parlement. Si le texte était rejeté par le parlement britannique, il n’y aurait pas de renégociations mais une sortie sans accord.
Ce dernier point fait débat au parlement et suscite de vives réactions de la part de l’opposition travailliste, qui souhaiterait que le parlement puisse participer à de nouvelles négociations en cas de rejet de l’accord de retrait. Au regard de la fragilité actuelle de la majorité de T. May, le vote de l’accord de retrait constitue donc une source d’incertitude majeure. En effet, le gouvernement britannique s’appuie actuellement sur une courte majorité. A la chambre des communes, sur les 639 sièges considérés comme actifs (11 membres ne siègent pas), la coalition gouvernementale en compte 326 (316 conservateurs et 10 membres du DUP, le Parti Unioniste Démocrate irlandais) tandis que l’opposition en rassemble 313. T. May s’appuie donc sur une majorité de 13 sièges, dont 10 sont occupés par des unionistes irlandais. Le vote des dix membres du DUP sur l’accord de retrait devrait dépendre de la nature de la solution adoptée pour l’Irlande du Nord. Or, à l’heure actuelle, la solution proposée par l’UE (intégration de l’Irlande du Nord à une zone douanière et réglementaire commune avec la République d’Irlande) semble loin d’être satisfaisante tandis que, du côté britannique, aucune contreproposition n’a réellement émergé. Enfin, et au-delà de la question nordirlandaise, les conservateurs eux-mêmes apparaissent divisés quant à la nature de l’accord commercial qui définira les futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni.
L’épineuse question nord-irlandaise
« En l’absence de contreproposition de la part du Royaume-Uni, la proposition de l’Union Européenne constitue une solution de repli »
Le 19 mars 2018, les négociateurs européens et britanniques ont trouvé une série d’accords qui ont conduit à la publication d’une version amendée du projet de retrait. Ces accords portaient sur trois sujets : la période de transition, le droits des citoyens britanniques et européens et enfin la question du règlement financier.
La sortie du Royaume-Uni, le 29 mars 2019, sera suivie d’une période de transition de 21 mois qui s’achèvera le 31 décembre 2020. Durant cette période, le Royaume-Uni ne sera officiellement plus un membre de l’Union Européenne mais continuera de bénéficier d’un accès au marché commun et à l’union douanière. Par ailleurs, le pays sera encore soumis au droit communautaire européen, dont la bonne application sera contrôlée par la Cour de Justice de l’Union Européenne. La libre-circulation des personnes devra également être assurée. En tant que pays tiers, le Royaume-Uni ne participera plus au processus de décision de l’Union Européenne mais pourra jouer, à la discrétion des instances européennes, un rôle consultatif.
Concernant le droit des citoyens britanniques et européens, le statut des résidents européens et britanniques ne sera pas modifié durant la période de transition. Enfin, les deux partis se sont mis d’accord sur le montant du règlement financier qui incombera au Royaume-Uni. Selon les estimations du Bureau de Responsabilité Budgétaire britannique (OBR), ce règlement s'élèverait à 37,1 mds£, soit 41,4 mds€. Une partie du règlement sera échelonnée jusqu’en 2064 (retraites des fonctionnaires européens notamment) mais la majeure partie du paiement (93 %) devrait être réglée d’ici à 2028.
En revanche, une question cruciale reste encore en suspens dans le processus de négociation de l’accord de retrait : le sort de l’Irlande du Nord. En décembre 2017, les deux partis se sont mis d’accord sur la nécessité d’éviter la mise en place d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Ces objectifs se heurtent cependant à la volonté du Royaume-Uni de sortir de l’union douanière et du marché commun ce qui impliquerait un contrôle à la frontière de l’Irlande du Nord. En février 2018, la Commission Européenne a proposé une solution à la question nord-irlandaise. Cette dernière prévoit la mise en place d’une zone réglementaire commune entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande au sein de laquelle la libre circulation des personnes et des biens serait assurée. In fine, l’Irlande du Nord serait considérée comme faisant partie de l’union douanière européenne, ce qui impliquerait la mise en place d’un contrôle entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. La proposition européenne a immédiatement suscité un tollé du côté britannique. T. May a déclaré la proposition inconstitutionnelle, ce qui a été salué par le parti unioniste irlandais. Néanmoins, le 19 mars 2018, les négociateurs britanniques et européens se sont mis d’accord sur la nécessité de prévoir une solution de repli pour l’Irlande du Nord. En l’absence d’une contre-proposition britannique jugée crédible, c’est donc la proposition de la Commission Européenne qui a été désignée, au sein de l’accord de retrait, comme cette solution de repli.
Un autre sujet de blocage potentiel réside également dans le territoire de Gibraltar, sujet de contentieux entre l’Espagne et le Royaume-Uni. Le sort de Gibraltar, actuellement territoire britannique d’outre-mer, doit être résolu dans un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et l’Espagne. Néanmoins, le texte préliminaire d’accord de retrait laisse entendre que la ratification de l’accord de retrait final serait conditionnée aux succès des négociations sur Gibraltar, ce qui donnerait finalement un droit de veto à l’Espagne. Le ministre des affaires étrangères espagnol a toutefois déclaré, en mars 2018, qu’il souhaitait éviter que les négociations du Brexit soient « prises en otage par la question de Gibraltar ».
La question des relations futures reste ouverte
« La source d’incertitude majeure, réside aujourd’hui dans la question des services et plus particulièrement des services financiers »
Le deuxième volet des négociations du Brexit, qui porte sur les relations futures, n’a pour l’instant pas fait l’objet d’accord politique clair. Néanmoins, le cadre de ces négociations a été partiellement défini à travers les « lignes rouges » du gouvernement May ainsi que par l’adoption par le Conseil Européen de ses lignes directrices de négociation en mars dernier.
Les « lignes rouges » de T. May sont les suivantes : elle souhaite que le Royaume-Uni puisse mener une politique commerciale indépendante et bénéficier d’une autonomie réglementaire. Elle souhaite que son pays ne contribue plus financièrement à l’Union Européenne et ne soit plus soumis à la Cour de Justice Européenne. Enfin, elle souhaite mettre un terme à la libre circulation des personnes. Dans le même temps, T. May souhaite mettre en place un accord commercial ambitieux avec l’UE qui permettrait le libreéchange des biens et des services. Elle souhaite que le Royaume-Uni puisse encore participer à certaines agences européennes (médicaments, produits chimiques et sécurité aérienne en l’occurrence). Enfin, et comme explicité précédemment, elle souhaite qu’il n’y ait pas de frontières physiques entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
La proposition britannique consisterait donc en un accord qui combinerait les avantages liés à un accord de libre échange avec un pays tiers comme le Canada (pas de contribution financière à l’UE, autonomie réglementaire et judicaire, politique commerciale indépendante, libre échange des biens) aux attributs associés à l’appartenance au marché commun ou à l’espace économique européen (dont fait notamment partie la Norvège) (libre échange sur les biens et les services, participations aux agences européennes, absence frontières physiques).
Pour la commission européenne, les « lignes rouges » du gouvernement britanniques ne seraient compatibles qu’avec un accord de libre échange « classique » comme celui qu’elle a signé avec le Canada. Un tel accord ne permettrait pas d’assurer un libre-échange total sur les services ni une participation aux agences européennes ni l’absence de frontières physiques. Néanmoins, l’UE s’accorde avec le Royaume-Uni en ce qui concerne le libreéchange des biens.
La source d’incertitude majeure, au-delà de la question nord-irlandaise, réside aujourd’hui dans la question des services et plus particulièrement des services financiers. Or, en 2017, le Royaume-Uni a enregistré un excédent de 170 mds£ sur la balance des services contre un déficit de 136 mds£ pour la balance des biens. Au sein de la balance des services, les services financiers et d’assurances représentent respectivement 50 % et 16 % de l’excédent sur la même période. Dès lors, on comprend l’importance accordée à la signature d’un accord sur les services financiers.
Bien que la signature de l’accord sur les relations futures ne pourra intervenir qu’après la sortie du Royaume-Uni, il est probable que les négociations avancent plus vite au cours des mois à venir. En effet, le négociateur britannique, David Davis, a déclaré que le parlement britannique pourrait ne pas signer l’accord de retrait en l’absence de clarification sur la question des relations futures.
Télécharger - Brexit : entre avancées et questionnements (pdf - 410.58 Ko)Rédigé par
Pierre Bossuet
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