Royaume-Uni : Brexit, quelques avancées mais beaucoup d’incertitudes
Le 14 novembre, et après des mois de tractations, les négociateurs britanniques et européens sont finalement parvenus à un consensus sur l’accord de retrait et la déclaration politique sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne.
Ces deux documents, une fois approuvés par le Conseil Européen et la Chambre des communes, devront être ratifiés par les parlements avant la sortie du Royaume-Uni, prévue le 29 mars 2019.
Pour autant, les incertitudes et les zones d’ombres quant à la suite des négociations demeurent nombreuses. Les dissensions sont importantes au sein de la majorité conservatrice et du gouvernement britannique. Plusieurs points de l’accord, notamment la question de l’Irlande du Nord et celle du territoire de Gibraltar, pourraient constituer des sources de blocage au Conseil Européen et à la Chambre des communes.
Malgré ces avancées, les risques d’un recul de la date du Brexit ou même d’une sortie sans accord ne peuvent être écartés à ce stade des négociations.
« Le gouvernement de T. May s’appuie sur une courte majorité et totalise 326 sièges, dont 10 pour le Parti Unioniste Démocrate, contre 313 pour l’opposition. »
Une nouvelle étape est franchie
« L’accord de retrait et la déclaration politique sur les relations futures devront être ratifiés avant la sortie du Royaume-Uni, le 29 mars 2019 »
Alors que la date de sortie de l’UE, fixée au 29 mars 2019, approche, les incertitudes et les interrogations sur les modalités exactes de cette sortie restent nombreuses. À l’heure actuelle, deux textes doivent être ratifiés avant la sortie du pays: l’accord de retrait ainsi qu’une « déclaration politique sur le cadre des relations futures ». Bien que la portée de ce dernier document, qui doit poser les bases du futur accord, soit uniquement politique, le gouvernement britannique a déclaré que le Parlement ne pourrait ratifier l’accord de retrait en absence d’une déclaration politique claire.
À l’origine, ces documents devaient faire l’objet d’un accord à l’occasion du Conseil Européen du 18 octobre. En l’absence de consensus, il a toutefois fallu attendre le 14 novembre pour qu’un texte satisfaisant les deux partis émerge enfin. Cet arrangement est pourtant loin de faire l’unanimité au sein même du gouvernement britannique. Plusieurs ministres ont démissionné à la suite de sa publication tandis que la frange la plus eurosceptique du parti conservateur a manifesté sa désapprobation. Des voix s’élèvent aussi du côté européen, notamment en Espagne avec la question du territoire britannique de Gibraltar. L’approbation de ces documents par le Conseil Européen (réunion des chefs d’état et de gouvernement européen) puis par la Chambre des communes (chambre basse britannique) pourrait donc poser problème.
L’accord de retrait : les principaux points
« La solution de recours visant à empêcher la mise en place d’une frontière physique en Irlande du Nord suscite des contestations au sein de la majorité »
Une large partie du contenu de l’accord de retrait reprend les propositions issues du texte préliminaire publié le 19 mars 2018. Quatre sujets clés émergent : le droit des citoyens britanniques et européens, la question du règlement financier, la période de transition et enfin l’épineuse question de la frontière nord-irlandaise, source principale du blocage des négociations.
Comme convenu en mars dernier, la sortie du Royaume-Uni, le 29 mars 2019, sera suivie d’une période de transition de 21 mois qui s’achèvera le 31 décembre 2020. Durant cette période, le Royaume-Uni ne sera officiellement plus un membre de l’Union Européenne mais continuera de bénéficier d’un accès au marché commun et à l’union douanière. Le texte publié le 15 novembre introduit une nouveauté : la possibilité de prolonger la période de transition. Les deux partis pourraient ainsi, sur un commun accord, étendre la période de transition pendant une durée non-précisée (l’accord mentionne « jusqu’au 31 décembre 20XX »). La presse rapportait, le 19 novembre, que l’UE, par la voix de J. Juncker, serait prêt à étendre la période de transition jusqu’en 2022.
Concernant le droit des citoyens britanniques et européens, le statut des résidents européens et britanniques ne sera pas modifié durant la période de transition. Le statut des ressortissants britanniques et européens n’ayant jamais travaillé à l’étranger et souhaitant s’y installer après la fin de la période de transition n’est pas encore défini et pourrait être précisé au sein de l’accord sur les relations futures.
Concernant le règlement financier, les deux partis se sont mis d’accord sur une méthodologie de calcul en mars dernier. Selon les estimations du Bureau de Responsabilité Budgétaire britannique (OBR), ce règlement serait compris entre 35 et 39 mds£. En cas d’extension de la période de transition au-delà de 2020, l’accord de retrait indique qu’une contribution sera attendue sans toutefois en préciser le montant.
Enfin, la solution de recours apportée à la question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande constitue la principale avancée du texte publiée le 14 novembre. C’est en effet sur ce point que les négociations ont achoppé au cours de l’année. Pour rappel, en décembre 2017, les deux partis se sont mis d’accord sur la nécessité de respecter les « accords du Vendredi Saint » et d’éviter une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Dans cette optique, les deux partis ont décidé de prévoir une solution de recours (backstop) qui serait appliquée si, à la fin de la période de transition, aucun arrangement sur les relations futures permettant de garantir l’absence de frontière physique n’était trouvé.
La dernière version de l’accord de retrait prévoit une nouvelle solution de recours qui s’appliquera à l’ensemble du Royaume-Uni (au lieu de prévoir une séparation entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni). À défaut d’un d’accord permettant l’absence de frontière, le Royaume-Uni et l’Union européenne constitueront un « territoire douanier unique » au sein duquel les biens bénéficieraient d’un accès en franchise de droits et de contingents (sans quotas, ni tarifs douaniers). Pour ce faire, le Royaume-Uni s’alignerait sur une partie de la réglementation européenne afin de limiter les contrôles sans toutefois avoir à suivre le code des douanes de l’Union. Le texte prévoit tout de même une distinction entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni dans la mesure où l’Irlande du Nord devra appliquer le code des douanes de l’Union et restera entièrement alignée à la réglementation du marché unique.
Cette solution vise à être limitée dans le temps et s’appliquera jusqu’à ce qu’un futur accord puisse être mis en place et soit jugé satisfaisant par les deux partis. Au total, en considérant à la fois la possibilité d’étendre la période de transition et cette nouvelle solution de recours, la sortie « effective » du Royaume-Uni (qui serait entérinée par la mise en place de l’accord sur les relations futures) pourrait donc avoir lieu bien après 2020. Cette solution est loin de faire l’unanimité au sein de la majorité gouvernementale. Le Parti Unioniste Démocrate irlandais (DUP) a clairement exprimé son opposition à toute proposition conduisant à la mise en place d’une séparation entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Le DUP pourrait toutefois maintenir son soutien à la majorité si le gouvernement britannique parvenait à obtenir un accord sur les relations futures jugées satisfaisant. Du côté des conservateurs, la frange la plus eurosceptique du parti dénonce une solution qui retarderait le Brexit et obligerait le RoyaumeUni à s’aligner sur la réglementation européenne.x
La déclaration politique sur les relations futures
« A l’heure actuelle, le régime d’équivalence ne suffit pas à couvrir l’ensemble des services financiers »
Le deuxième texte, la déclaration politique sur les relations futures, est nettement moins détaillé (environ 30 pages contre plus de 500 pour l’accord de retrait) et synthétise les grandes orientations de la relation future entre l’Union Européenne et son voisin d’outre-manche. Par définition, ce document est politique et n’a donc pas vocation à préciser les modalités exactes des arrangements qui gouverneront les futures relations économiques.
Le texte affiche la volonté de mettre en place une politique commerciale indépendante au Royaume-Uni sans se prononcer précisément sur la forme de cette dernière. Concernant les échanges de biens, le document promeut la création d’une zone de libre-échange fondée sur une coopération réglementaire et douanière approfondie et visant à la suppression des droits de douane et des quotas sur les échanges de biens. Un tel arrangement se baserait sur un alignement réglementaire du Royaume-Uni sur l’Union Européenne. Le document appelle également à des coopérations sectorielles, notamment en matière de transport et d’énergie (à travers une coopération avec les agences européennes de régulation).
Du côté des services, le document appelle à « une libéralisation des échanges bien supérieure à ceux caractérisant les relations entre pays tiers de l’OMC. » Enfin, concernant la question du secteur financier, cruciale pour Londres, le texte prévoit que les services financiers soient soumis au régime d’équivalence réglementaire s'appliquant actuellement aux pays tiers. En l’état, la portée de ces régimes d’équivalence apparaît limitée et ne semble pas constituer une alternative suffisante au régime de « passeport européen », notamment vis-à-vis des activités de crédits et d’assurance.
La ratification des parlements n’est pas assurée
« Le degré d’incertitude concernant le passage des textes à la Chambre des communes demeure élevé »
Avant de pouvoir être voté, le nouveau texte de l’accord de retrait et la déclaration politique seront finalisés et approuvés par le Conseil Européen, lors du sommet du 25 novembre, puis par la Chambre des communes (chambre basse britannique). Par la suite, les documents devront être ratifiés au Parlement britannique et au Parlement européen avant la sortie, le 29 mars 2019.
Du côté de l’UE, l’accord de retrait final et la déclaration politique seront validés par le Parlement européen à la majorité simple (parlementaires britanniques inclus) puis par le Conseil Européen à la majorité qualifiée (72 % des 27 États membres et 55 % de la population).
Côté britannique, le début du processus de ratification pourrait débuter dès décembre, avant la suspension des travaux parlementaires (le 20 décembre). Tout d’abord, la Chambre des communes devra approuver le texte de l’accord de retrait finalisé ainsi que la déclaration politique au cours d’un vote (intitulé « meaningful vote »). Les modalités exactes de ce vote, dont l’importance est pourtant cruciale, demeurent ambiguës. T. May a déclaré, le 14 novembre que la Chambre des communes aura la possibilité d’amender le texte mais a précisé le lendemain que le choix qui s’offrait à la Chambre était clair : une sortie sans accord, l’absence de sortie (pas de Brexit) ou bien l’adoption de l’accord de retrait en l’état (« My deal, no deal, or no Brexit »). On peut distinguer trois issues possibles au vote de la Chambre des communes : la Chambre approuve le texte de retrait et la déclaration politique; la Chambre approuve une version amendée du texte; ou enfin la Chambre rejette un ou les deux textes.
Dans le premier cas, l’accord de retrait et la déclaration politique sont transposés en droit national avant d’être soumis au vote du Parlement dans son ensemble. Dans le deuxième cas, une version amendée du texte de retrait devrait être approuvée par le gouvernement britannique ainsi que par ses homologues européens avant de pouvoir être voté par le Parlement. Un tel cas de figure pourrait donc prolonger significativement les négociations. Enfin, en cas de rejet d’un ou des deux textes, le gouvernement britannique aura 7 jours pour préciser la manière dont il souhaite procéder à la suite des négociations. Il n’y a donc pas, a priori, de procédure encore définie quant à la suite des négociations en cas de rejet du Parlement.
Le processus du Brexit peut encore être bousculé
« La possibilité d’une sortie sans accord ne peut être exclue »
A l’heure actuelle, on peut distinguer quatre issues possibles aux négociations du Brexit : une sortie ordonnée avec accord selon les termes actuels, une sortie ordonnée avec accord selon des termes amendés (hypothèse d’une renégociation), une sortie sans accord et enfin une annulation du Brexit. Il existe par ailleurs une possibilité de décaler la date de sortie d’un an. L’article 50 du traité sur l’Union Européenne (TUE) prévoit en effet que le Conseil Européen peut décider à l’unanimité d’étendre le délai. Si les récents développement constituent des avancées certaines vers une sortie selon les termes de l’accord actuel, de nombreux obstacles persistent.
Tout d’abord, le risque immédiat qui pèse sur les négociations est celui d’un rejet par la Chambre des communes de l’accord de retrait et de la déclaration politique. Au regard des équilibres parlementaires, assurer une majorité simple pour le gouvernement est loin d’être acquis. À la Chambre des communes, sur les 639 sièges considérés comme actifs (11 membres ne siègent pas), la coalition gouvernementale en compte 326 (314 conservateurs, 2 indépendants anciennement conservateur et 10 membres du DUP, le Parti Unioniste Démocrate nord-irlandais) tandis que l’opposition en rassemble 313. T. May s’appuie donc sur une majorité de 12 sièges, dont 10 sont occupés par des unionistes irlandais. Or, il est probable que le DUP s’abstienne de voter ou vote contre l’accord de retrait, ce qui pourrait mettre le gouvernement en minorité. Par ailleurs, une partie des conservateurs les plus eurosceptiques sont également susceptibles de voter contre le texte. À l’opposée des membres de l’opposition travailliste, en faveur du Brexit ou désirant éviter à tout prix une sortie sans accord, pourraient décider de voter avec le gouvernement. Difficile donc de connaître l’issue du vote de la Chambre des communes. Un rejet par le Parlement pourrait se traduire de plusieurs manières : une sortie sans accord, une poursuite des négociations et un nouvel accord ou bien une annulation du Brexit.
Autre possibilité, la Première Ministre T. May pourrait être écartée. Une motion de défiance à son encontre peut être déposée si au moins 15 % des députés conservateurs de la Chambre des communes y sont favorables (soit 48 députés). Pour que T. May soit effectivement renversée, il faudrait ensuite réunir la majorité simple des conservateurs (soit 158 membres sur 316). Au regard de l’arithmétique parlementaire et des conséquences potentielles d’une telle décision, il apparaît moins probable qu’un vote de défiance arrive à son terme.
Le blocage des négociations pourrait aussi provenir du côté européen. Le territoire de Gibraltar constitue en effet un sujet de contentieux entre l’Espagne et le Royaume-Uni. Le texte préliminaire de retrait de mars 2018, bien qu’ambiguë dans sa formulation, laissait entendre que la ratification de l’accord de retrait serait conditionnée au succès des négociations bilatérales entre l’Espagne et le Royaume-Uni, ce qui aurait finalement donné un droit de veto à l’Espagne et aurait permis de séparer la question de Gibraltar du cadre plus général des relations futures. La version actuelle du texte ne mentionne plus ces éléments, ce qui a suscité de vives réactions du côté du gouvernement espagnol. Le Premier Ministre espagnol, P. Sanchez, a ainsi déclaré le 22 novembre que l’Espagne voterait contre le texte à l’occasion du sommet du 25 novembre si aucune modification n’était effectuée.
Enfin, et de manière peut être plus improbable, l’hypothèse d’un second referendum n’est pas à exclure. Lors de sa conférence annuelle, en septembre dernier, le parti Travailliste a ainsi déclaré ne pas écarter cette possibilité. Plusieurs députés conservateurs ont également manifesté leur soutien à une telle option. Les modalités et le déroulement d’un tel referendum restent pour l’instant inconnus. Le leader du parti travaillistes, J. Corbyn, a notamment déclaré qu’un second referendum apparaît difficilement envisageable à court terme. Un second référendum pourrait permettre, selon son issue, une annulation du Brexit. D. Tusk, le président du Conseil Européen, a déclaré le 15 novembre être prêt à un no-brexit scenario.
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Pierre Bossuet
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