"Le regard de l’analyste" - L’Europe se réarme : hausse des budgets et impact sur l’industrie de la défense

Le Point de vue de l'expert

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Plusieurs événements récents ont conduit les gouvernements européens à augmenter leurs budgets de défense. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 a été un premier catalyseur, mettant en évidence la nécessité de renforcer les capacités militaires face à des menaces potentielles.

Les dépenses des pays européens sont passées de 1,6 % du PIB en moyenne en 2020 à près de 2 % en 2024, avec des disparités notables entre les États. Ceux situés à proximité de la Russie, comme les États baltes (Estonie, Lettonie) et la Pologne, ont alloué plus de 3 % de leur PIB à la défense en raison de la perception d’une menace directe. À l’inverse, des pays plus éloignés et disposant de ressources budgétaires plus limitées, tels que l’Espagne et le Portugal, ont consacré moins de 1,5 % de leur PIB à cet effort.
 

L’augmentation des budgets militaires depuis l’invasion de l’Ukraine se reflète directement dans le carnet de commandes et le chiffre d’affaires des entreprises de défense européennes. Pour les cinq principaux acteurs cotés en bourse, dont plus de 70 % du chiffre d'affaires sont liés à la défense, les commandes ont progressé à un rythme annuel moyen de 15 % entre 2020 et juin 2024. Cette croissance a été particulièrement forte pour les armements destinés à la guerre conventionnelle de haute intensité, tels que les munitions, l’artillerie et les blindés. Ces équipements avaient été sous-financés en Europe, aucun pays n’ayant anticipé un conflit terrestre de grande ampleur. Jusqu’ici, les États avaient plutôt concentré leurs efforts sur les technologies militaires d’avenir, comme les drones et robots autonomes, les armes hypersoniques, la cyberdéfense et les capacités offensives numériques.
 

L’incertitude concernant le soutien militaire américain a été un autre catalyseur ces derniers mois, incitant les membres européens de l’OTAN à accroître leurs propres dépenses de défense. De plus, la récente suspension de l’aide militaire des États-Unis à l’Ukraine, ainsi que l’éventualité de coupure du réseau de satellites en orbite terrestre basse (LEO) Starlink pour l’armée ukrainienne, ont mis en évidence la dépendance stratégique de l’Europe vis-à-vis d’infrastructures satellitaires non européennes.
 

Ces événements renforcent la nécessité de développer un réseau de satellites européen pour garantir l’autonomie et la sécurité des communications militaires. Dans ce cadre, les pays européens avancent sur des projets comme la constellation IRIS (Infrastructure pour la Résilience, l’Interconnectivité et la Sécurité par Satellite), destinée à fournir des communications sécurisées et résilientes, indépendantes des systèmes américains. Le consortium SpaceRISE, chargé de l’acquisition, de la construction et de l’exploitation d’IRIS, regroupe des opérateurs satellitaires (Eutelsat, SES, Hispasat) ainsi que des acteurs majeurs du secteur spatial (Airbus, Thales Alenia Space, etc.). Doté d’un budget de 10,6 milliards d’euros, ce projet est financé à 60 % par l’Union européenne et à 40 % par les membres du consortium. Il constitue une illustration supplémentaire de la quête de souveraineté que nous mettons en avant dans nos Perspectives Économiques et Financières.
 

Dans cette optique, les dépenses de défense des États européens devraient continuer de croître entre 2025 et 2030. Plusieurs développements récents devraient non seulement faciliter l’augmentation des budgets militaires, mais aussi dynamiser les programmes d’investissement des entreprises du secteur.
 

La Commission européenne a récemment dévoilé le plan de défense « ReArm », qui pourrait mobiliser 800 milliards d’euros pour réarmer le continent. Ce plan permettrait aux 27 États membres d’augmenter leurs dépenses de défense d’une moyenne de 1,5 % du PIB sans être soumis à un processus de déficit excessif, offrant ainsi une marge budgétaire de 650 milliards d’euros sur les quatre prochaines années.
En complément, l’Union européenne prévoit la création d’un nouvel instrument financier débloquant 150 milliards d’euros de prêts aux États membres pour investir dans les systèmes d’artillerie, les munitions, les missiles, la défense antiaérienne, les drones et les dispositifs antidrones. Ce fonds vise également à répondre aux besoins stratégiques en cybersécurité et en mobilité militaire.


Concernant le financement des investissements des entreprises de défense, une table ronde réunissant des acteurs financiers européens s’est récemment tenue pour examiner le rôle du capital privé dans ce secteur, qui viendrait compléter les capitaux publics. Les discussions ont notamment porté sur les moyens d’adapter le cadre réglementaire européen afin de favoriser un environnement d’investissement plus attractif, notamment en renforçant l’effet de levier. Les participants ont également souligné la nécessité de clarifier certains aspects du cadre financier durable de l’Union européenne pour s’assurer qu’il ne freine pas l’investissement dans la défense. Les contributions issues de cette table ronde alimenteront le Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne, dont la publication est prévue le 19 mars.

Rédigé par

Victor LABATE
Analyste financier et extra financier