Brexit : les choses sérieuses commencent
Après près de trois années d’âpres discussions, le Royaume-Uni et l’Union Européenne sont finalement parvenus à un accord sur la première phase des négociations, portant sur les modalités de sortie du Royaume-Uni.
Les Britanniques ont donc quitté l’Union Européenne le 1er février pour rentrer dans la période dite de transition, qui s’achèvera le 31 décembre 2020.
C’est durant cette période, au cours de laquelle le Royaume-Uni dispose encore d’un accès au marché unique mais sans pouvoir décisionnel, que la deuxième phase des négociations portant sur les futures relations économiques entre l’UE et le Royaume-Uni aura lieu. Cette semaine, le gouvernement britannique et la Commission européenne ont dévoilé leurs lignes directrices pour les discussions à venir.
Et sans surprise des lignes de fracture importantes apparaissent. Si le principe général d’un accord de libre échange est approuvé de part et d’autre de la Manche, ses modalités diffèrent. L’UE conditionne l’accord à la mise en place d’un cadre concurrentiel équitable, ce qui impliquerait un principe de non-régression sur certaines législations (environnement, droit du travail, concurrence …) alors que le Royaume-Uni souhaite pour sa part une autonomie réglementaire complète. La question des services financiers, des zones de pêche et, potentiellement de la frontière nord-irlandaise, constituent également des points de divergence importants.
Comme si cela ne suffisait pas, le délai pour négocier apparaît extrêmement court. L’UE et le Royaume-Uni ne disposent que de neuf mois alors que ce genre d’accord nécessite généralement plusieurs années. Pour couronner le tout, le gouvernement britannique menace de quitter la table des négociations dès le mois de juin s’il juge que les avancées ne sont pas suffisantes. Le risque d’un retour aux règles de l’OMC, c’est-à-dire d’un « no deal », demeure donc.
Dans une perspective de long terme, au-delà des négociations techniques actuelles, une Union Européenne privée du poids démographique, économique et politique de la Grande-Bretagne, sera handicapée vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine.
Des lignes de fracture importantes
Conformément au programme de Boris Johnson, la future relation entre le Royaume-Uni à l’UE prendra la forme d’un accord de libre-échange, ce qui correspond aux relations commerciales et économiques qui lient, par exemple, l’Union Européenne à des pays tiers comme le Canada, le Japon ou encore la Corée du Sud.
Un tel arrangement devrait permettre au Royaume-Uni de satisfaire une partie des exigences du gouvernement britannique. Il vise notamment la suppression des droits de douane sur la plupart des biens transitant entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. En revanche, il ne permettra pas la suppression des contrôles douaniers entre les deux zones. Il permet au Royaume-Uni de mener une politique commerciale indépendante, et donc de négocier des accords commerciaux avec des pays tiers, comme les Etats-Unis. Le contrôle des frontières reviendra par ailleurs à l’Etat britannique, ce qui lui permettra de mettre fin à la libre circulation des personnes avec les autres pays de l’UE. Enfin, un tel arrangement devrait permettre au Royaume-Uni de ne plus contribuer financièrement à l’Union Européenne (la contribution nette du Royaume-Uni au budget de l’UE représentait environ 5%, soit 10 à 12 milliards d’euros par an).
« La question des services financiers et celle de la réglementation constituent les points de divergence les plus importants »
Si les points précédents suscitent le consensus, des lignes de fracture importantes apparaissent entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. La plus importante d’entre elles concerne la mise en place d’un « cadre concurrentiel équitable » (level playing field). Ce principe, pourtant inclus au sein de la déclaration politique sur les relations futures approuvée de part et d’autre de la Manche, pose un problème.
En effet, l’Union européenne souhaite conditionner l’accord de libre-échange à la mise en place d’un cadre concurrentiel équitable, c’est-à-dire un maintien des standards réglementaires en ce qui concerne l’environnement, les droits des travailleurs ainsi que les règles de la concurrence et les lois concernant les subventions aux entreprises. Avec ce principe de non-régression, l’Union Européenne souhaite éviter une dérégulation massive au Royaume-Uni qui entraînerait une concurrence jugée déloyale via du dumping social et environnemental ou des subventions massives aux entreprises. L’Union Européenne souhaite par ailleurs que la réglementation britannique vis-à-vis des subventions étatiques aux entreprises s’aligne sur la réglementation européenne au fur et à mesure de son évolution.
Cette demande remet en cause l’objectif d’autonomie réglementaire mis en avant par Boris Johnson. Le gouvernement britannique considère pour sa part qu’il ne négociera aucun accord au sein duquel le Royaume-Uni ne disposera pas d’un contrôle total sur ses propres lois et refuse toute forme d’alignement. De fait, le gouvernement de B. Johnson revient donc sur son engagement de mettre en place un « cadre concurrentiel équitable ». L’exécutif britannique ajoute par ailleurs que le Royaume-Uni disposera de son propre système de subventions aux entreprises. Il note cependant qu’il s’engagera à ne pas réduire ou affaiblir le niveau de protection des travailleurs ou les standards environnementaux.
Pour Boris Johnson, qui parle de l’accord sur les relations futures comme d’un accord de type « Canada », il apparaît injuste que l’UE affiche des exigences vis-à-vis de la réglementation britannique plus restrictive que vis-à-vis des autres partenaires économiques de l’Union (le Canada, le Japon ou la Corée du Sud notamment). Pour l’UE, le niveau d’interdépendance et l’importance des échanges commerciaux rend cette comparaison fallacieuse. La Commission européenne note que les importations en provenance du Canada, du Japon et de la Corée du sud en UE en 2018 représentent, combinées, près de 125 milliards €, contre 197 milliards pour les seules importations en provenance du Royaume-Uni. Par ailleurs, la proximité géographique est beaucoup plus importante et implique davantage d’interconnexions, notamment en termes de chaîne de valeur.
L’autre point de divergence concerne les zones de pêche. Bien que la pêche ne représente qu’une partie marginale de l’économie des deux pays, la question demeure importante politiquement. L’UE souhaite maintenir l’accès dont elle dispose actuellement tandis que le Royaume-Uni souhaite le renégocier de manière annuelle.
La question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande pourrait également constituer un point de friction. Théoriquement, ce problème a déjà été réglé lors de la signature de l’accord de retrait, qui prévoit la mise en place d’un partenariat douanier entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Ce partenariat douanier, que nous ne détaillerons pas ici, assure l’absence d’une frontière physique entre les deux Irlandes mais implique des contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Boris Johnson déclare cependant que ces contrôles douaniers n’auront pas lieu, sans que cette position ne soit toutefois mentionnée clairement dans les lignes directrices publiées par le gouvernement britannique.
Enfin, la question des services financiers, qui est d’une importance cruciale d’un point de vue économique, constitue un autre sujet de dissension. Il est établi que le Royaume-Uni, une fois sorti de l’UE, ne pourra plus disposer du passeport européen, c’est-à-dire disposer du droit de libre établissement ou de libre prestation de services dans l’Union Européenne. Le Royaume-Uni pourrait en revanche disposer d’un régime d’équivalence, qui permettrait que certains services financiers continuent d’être assurés dans l’UE. Pour que ce dernier puisse être mis en place, l’UE doit déterminer si le cadre réglementaire et prudentiel du pays tiers est équivalent au régime correspondant de l’UE.
Ce régime apparaît toutefois insuffisant au regard de l’importance des services financiers à destination de l’UE. Premièrement, il offre peu de visibilité aux acteurs britanniques car la Commission européenne dispose d’une grande marge de manœuvre dans les modalités de délivrance et de retrait de l’équivalence. Le régime d’équivalence peut ainsi être retiré de manière unilatérale et dans un délai très court (préavis de 30 jours).
Deuxièmement, il ne couvre qu’un nombre limité de services. Selon le parlement européen (« Third country equivalence in EU banking and financial regulation », août 2019), le régime actuel d’équivalence ne couvre pas les activités de banques de détail et les services de paiement. Dans ce cas, les banques britanniques devront soit établir des filiales dans les pays européens, soit demander individuellement l’accès aux différents pays de l’Union. Les activités d’assurance et de fonds pour les particuliers ne sont également pas couvertes par le régime d’équivalence.
Face à ces obstacles, le Royaume-Uni souhaiterait mettre en place un régime plus stable et plus large que le système d’équivalence actuelle. L’Union Européenne note pour sa part que le traitement accordé aux services financiers britanniques sera le même que celui accordé aux pays tiers.
Un calendrier particulièrement serré
Le Royaume-Uni se situe actuellement dans la période de transition. Durant cette période, le Royaume-Uni n’est officiellement plus un membre de l’UE mais dispose d’un accès au marché unique et à l’Union Douanière. Cette période de transition s’achèvera, selon les souhaits du gouvernement britannique, le 31 décembre 2020. C’est donc durant cette période de 9 mois seulement, que le Royaume-Uni et l’UE devront négocier et ratifier l’accord sur les futures relations économiques.
Ceci apparaît très court au regard du temps nécessaire à la négociation et à la ratification de tels accords. A titre d’exemple, près de 7 ans se sont écoulés entre le début des négociations et la signature de l’accord avec le Canada. A cela, il faut ajouter le temps nécessaire à la ratification des accords commerciaux, qui peuvent parfois prendre plus d’un an. En effet, l’accord sur les relations futures devra, du côté de l’Union Européenne, être ratifié par chaque pays selon ses propres arrangements constitutionnels.
« Négocier un accord de cet ampleur dans une période si courte est inédit d’un point de vue historique »
Comme si le temps ne manquait déjà pas, Boris Johnson a annoncé qu’il souhaitait que les grandes lignes de l’accord soient décidées d’ici à juin 2020, ce qui laisse donc quatre mois. Si les avancées sont jugées insuffisantes par le Royaume-Uni, le gouvernement britannique quittera la table des négociations pour préparer le pays à un retour aux règles de l’OMC, autrement dit à un « no-deal ».
La perspective d’un retour aux règles de l’OMC a souvent été utilisée comme un épouvantail sous Theresa May, mais a toujours été rejetée par la chambre des Communes. Boris Johnson, qui dispose d’une majorité confortable au parlement, apparaît moins contraint. Reste à savoir si cette menace sera mise à exécution. Bien que Boris Johnson ait formellement rejeté toute extension de la période de transition, et qu’il ait même légiféré en ce sens, une extension des négociations ne peut être exclue. D’ailleurs, si les négociations du Brexit nous ont montré une chose, c’est que les dates butoirs sont plus flexibles qu’on pourrait le penser.
Rédigé par
Pierre Bossuet
Analyste économique
Le 2 mars 2020
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