"Le regard de la gérante" - Entre négociations et pressions américaines, l’Inde face au défi de l’ouverture économique.

Le Point de vue de l'expert

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Après avoir annoncé l’instauration de droits de douane réciproques de 26 % sur les importations indiennes, l’Administration américaine a finalement décidé de suspendre ces mesures pour une période de 90 jours, ouvrant une fenêtre de négociations visant à réduire le déficit commercial (45 milliards de dollars en faveur de l’Inde en 2024).

Dans le cadre de ces discussions, l’Inde, dont les droits de douane moyens restent nettement supérieurs à ceux des États-Unis (12 % contre 2,2 % selon l’OMC), a déjà consenti à réduire ses barrières tarifaires sur certains produits américains, tels que les deux-roues haut de gamme et le whisky bourbon. Par ailleurs, Delhi pourrait renforcer ses achats stratégiques, notamment dans les secteurs de l’énergie (GNL) et de la défense. La stratégie américaine vise également à pousser l’Inde à ouvrir davantage son marché, à l’image du commerce en ligne. 

Estimé à plus de 60 milliards de dollars en 2024, le marché a connu une croissance annuelle moyenne de plus de 30% au cours des quatre dernières années tout en restant largement sous-pénétré (9% des ventes au détail contre 24% aux États-Unis et 33% en Chine). Aujourd’hui le marché indien du commerce en ligne est dominé par les géants Flipkart (majoritairement détenu par l’américain Walmart) et Amazon, qui se partagent plus de 75% des parts de marché, malgré un arsenal de mesures protectionnistes : interdiction de ventes directes aux consommateurs, restrictions logistiques et interdiction de conclure des accords de distribution exclusifs ou de prendre une participation au capital des vendeurs. Une levée des restrictions représente une opportunité de croissance pour les acteurs internationaux. Ce changement renforcerait leur contrôle de la chaîne de valeur, leur donnerait la possibilité de lancer leurs propres marques et ainsi d’accroître leur position. 

L’enjeu est d’autant plus crucial que le sous-segment de la livraison rapide, en plein essor (croissance annuelle supérieure à 100 %), attire désormais l’attention des géants américains. Ce marché, aujourd’hui dominé par les acteurs locaux Zepto, Blinkit et Swiggy Instamart, bénéficie de l’urbanisation rapide et de la demande croissante pour des services pratiques et économiques. Une ouverture du marché indien permettrait à Flipkart et Amazon d’accélérer leur développement sur ce créneau, en s’appuyant sur leur logistique et leur capacité d’investissement. Ainsi ces derniers ont annoncé respectivement vouloir atteindre un réseau de 800 et 300 petits entrepôts d’ici la fin de l’année (contre 300 et 5 actuellement). Ces entrepôts appelés «dark stores » permettent de stocker une large gamme de produits et de garantir des livraisons en 15 à 30 minutes grâce à des emplacement stratégiques, un atout décisif dans un marché où la rapidité de service est un critère clé de différenciation. 

Ainsi, l’élargissement des négociations au-delà des droits de douane risque d’intensifier la concurrence sur des marchés jusqu’ici largement protégés, obligeant l’Inde à trouver un équilibre entre ouverture aux investissements étrangers et protection des acteurs locaux.

Rédigé par

Valentine DRUAIS
Gérante Actions Internationales