"Le regard de l’analyste" - Les enjeux de flexibilité de l’électricité renouvelable en Europe
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Le système électrique européen est en train de se transformer en profondeur. Les deux principaux moteurs de ce changement sont (i) la stratégie de décarbonation (objectif de neutralité d’ici 2050) et (ii) la volonté de réduire la dépendance aux énergies fossiles importées sur fond de guerre russo-ukrainienne.
Selon le rapport de l’Agence Européenne pour la Coopération des Régulateurs de l’Energie (« ACER ») de septembre 2023, l’Europe doit doubler la génération de l’électricité d’origine renouvelable d’ici 2030. Néanmoins, l’accélération de la pénétration des énergies renouvelables dans le mix électrique pose un défi de taille: celui du pilotage de l’électricité.
Le bon fonctionnement du système électrique se base sur le principe de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité à chaque instant. Dans le marché de l’électricité dominé par des énergies fossiles, cet équilibre s’établit grâce aux actifs dits « pilotables » ou « flexibles ». C’est notamment le cas des centrales à gaz naturel qui peuvent être allumées et arrêtées rapidement afin de répondre aux besoins du marché. Contrairement aux énergies fossiles, la plupart des énergies renouvelables (le solaire, l’éolien) sont intermittentes. L’électricité qu’ils génèrent dépend de la disponibilité de la ressource (soleil, vent), ce qui induit un décalage de l’offre et de la demande. Son impact est important vu le nombre d’occurrences des prix négatifs dans l’UE (cf. graphique ci-dessous).
Il se matérialise :
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D’une part, sur les prix de vente au marché comptant qui deviennent négatifs lorsque l’offre dépasse la demande. Pour y remédier, les générateurs de l’électricité renouvelable couvrent leur production par des PPA « Power Purchase Agreements » (contrats de vente long terme à prix défini par avance).
- D’autre part, sur les volumes de production, lorsque le taux d’utilisation de la centrale de génération renouvelable est réduit du fait de la faible demande du réseau. Cela expose les producteurs d’électricité renouvelable à la volatilité des prix comptants en cas de décalage avec les volumes déjà vendus à travers les PPA.
Selon le rapport de l’ACER de juillet 2024, les coûts du rééquilibrage du réseau, par délestage d’électricité ou arrêt des centrales de génération ont été estimés à 4,3Mds€ en 2023 contre 5,2Mds€ en 2022. 60% de ces coûts sont supportés par le système de génération allemand caractérisé par l’éloignement des zones de production d’énergies renouvelables et les zones de consommation. Ainsi en Allemagne, l’électricité renouvelable délestée a représenté 10TWh d’électricité en 2023, soit 4% de la génération d’électricité renouvelable.
Afin de réduire les déperditions de l’électricité renouvelable, les leviers de flexibilité sont d’une importance cruciale. L’ACER estime que le doublement de la production électrique renouvelable devrait s’accompagner par le doublement des solutions de flexibilité. Plusieurs d’entre elles existent :
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Flexibilité de la consommation (« Demand Response »). Il s'agit d’un mécanisme qui consiste à inciter les utilisateurs de l’électricité à consommer plus d’énergie lorsque la production est supérieure à la demande, et moins d’énergie lors des pics de la demande (appelé également un « effacement »).
- Développement des capacités de transmission du réseau électrique :
- D’une part, il s’agit des interconnexions entre les pays pour désenclaver les pays avec une production abondante vers les pays dépendant des énergies fossiles. Ce sujet a déjà été abordé dans notre suivi hebdomadaire précédent.
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D’autre part, il s’agit des réseaux électriques de transport et de distribution nationaux afin de mieux relier les zones de production d’électricité renouvelable et les zones de consommation. Ces investissements ne seront pas suffisants seuls pour combler le décalage entre la consommation et la production de l’électricité. Le réseau électrique de demain d’un mix renouvelable serait davantage régionalisé plutôt que centralisé.
- Développement des actifs de stockage de l’énergie. Le stockage de l’électricité excédentaire peut être effectué par le consommateur (les batteries des véhicules électriques peuvent être utilisées à cet effet) ou au niveau du générateur d’électricité (parc de batteries). Les projets d’envergure pour le stockage d’électricité ont jusqu’à lors été principalement réalisés aux États-Unis, le marché bénéficiant d’une faible interconnexion des réseaux à travers le pays et des subventions de l’IRA. Toutefois, le marché européen semble changer, avec l’annonce récente d’un appel d’offre gagné par Engie en Belgique pour un parc de batteries de stockage de 100MW, bénéficiant d’un mécanisme de rémunération de capacité. Les besoins de flexibilité de l’UE devraient bénéficier à la fois aux acteurs régulés pour les investissements dans le réseau mais également aux acteurs non régulés qui pourront investir dans les actifs de stockage. La réorganisation du complexe énergétique mondial est une des thématiques de nos Perspectives Économiques et Financières.
Rédigé par
Victor PAVLOV
Analyste financier et extra financier